Une pollution sanitaire sur l’Everest ? Quand l’impact du tourisme atteint les sommets
Dernièrement gravi par Inoxtag en 2024, le Mont Everest cache aussi une pollution sanitaire inquiétante :
un microbiome sous influence humaine
On pourrait imaginer l’Everest comme un lieu immaculé et inaccessible, un sanctuaire préservé de toute activité humaine. Pourtant, la réalité est bien différente : le sommet emblématique est aujourd’hui confronté à une pollution croissante, tant en termes de déchets matériels que de pollution sanitaire, liée aux traces laissées par le tourisme de masse et les nombreuses expéditions pour gravir les pentes de l’Everest. En effet, l’année dernière, le nombre d’alpinistes en expédition a frôlé les 900 personnes, le gouvernement népalais ayant délivré 454 permis d’ascension pour l’Everest durant cette saison.
Loin d’être un environnement vierge, l’Everest abrite également un monde microscopique, un microbiome, qui témoigne de l’impact humain, même dans les endroits les plus reculés. La découverte surprenante de microbes d’origine humaine met en lumière la portée de notre empreinte sur la planète et soulève des questions fascinantes sur la résilience de la vie et les conséquences de nos actes. Cette réalité a même été soulignée par le célèbre streamer français Inoxtag, qui a récemment sensibilisé son public lors de son ascension de l’Everest.
I. Le microbiome de l’Everest : une découverte inattendue en altitude
L’étude du professeur Steven Schmidt : les alpinistes et grimpeurs à l’origine de ce microbiome
Les recherches menées par Steven Schmidt, professeur d’écologie et de biologie évolutive à l’Université du Colorado (Etats-Unis) à Boulder, et son équipe ont mis en évidence la présence inattendue de microbes d’origine humaine dans les sédiments de l’Everest. Cette découverte, publiée dans la revue Arctic, Antarctic, and Alpine Research, a révélé que les alpinistes et grimpeurs, en plus des déchets qu’ils laissent sur les pentes de la montagne lors de leur ascension, déposent également des micro-organismes, modifiant ainsi le microbiome de l’Everest et laissant une signature humaine unique.
Des streptocoques et des staphylocoques au sommet
Les analyses effectuées sur des prélèvements d’échantillons de sol à 8 000 mètres d’altitude, au niveau du col Sud des pentes de l’Everest, ont permis de détecter des bactéries telles que les streptocoques et les staphylocoques.
Ces bactéries, communément présentes dans le nez et la gorge, sont généralement inoffensives pour les personnes en bonne santé. Les chercheurs suggèrent que ces bactéries ont été transportées sur l’Everest par les alpinistes, probablement par la propagation de germes (la toux, les éternuements, les mouchages ou encore les selles).
II. La survie des micro-organismes dans l’environnement extrême de l’Everest
Le mont Everest, connu pour ses conditions extrêmes, constitue un environnement hostile pour la majorité des formes de vie, en particulier les micro-organismes. Les températures glaciales, souvent bien en dessous de -10°C, un rayonnement ultraviolet intense, un manque d’eau liquide et une faible teneur en oxygène créent un écosystème que peu d’organismes parviennent à coloniser. Pourtant, des études récentes ont révélé la présence de diverses bactéries et autres pathogènes dans des zones reculées de la montagne, un fait surprenant qui interpelle la communauté scientifique.
Parmi les micro-organismes découverts, des bactéries d’origine humaine comme les staphylocoques et les streptocoques ont été identifiées dans les sédiments de l’Everest. Ces bactéries, habituellement présentes dans des environnements chauds et humides tels que notre nez et notre gorge, montrent une résilience inattendue face aux conditions extrêmes de haute altitude. Leur survie est rendue possible grâce à une capacité à entrer dans un état de dormance. En réponse à des facteurs hostiles comme le froid, la déshydratation et le rayonnement UV, ces microbes peuvent suspendre leurs activités métaboliques et attendre des conditions plus favorables pour se réactiver.
Cette découverte met en lumière une autre dimension importante : l’impact de l’activité humaine sur cet écosystème fragile. La présence de bactéries d’origine humaine, transportées par les alpinistes ou le vent, montre que l’interaction entre l’homme et l’environnement ne s’arrête pas aux seules zones habitées. Les micro-organismes, emportés sur de longues distances, ont le potentiel de coloniser des environnements éloignés, soulevant des questions sur l’équilibre écologique des régions isolées comme l’Everest.
III. L’impact du changement climatique et de la pollution (tourisme, déchets, poubelles et fonte des glaces sur le toit du monde…)
Le changement climatique exerce une influence croissante sur l’écosystème fragile de l’Everest, affectant notamment son microbiome. Même une légère augmentation des températures, comme celle observée ces dernières décennies, a des répercussions importantes sur cet environnement extrême. Les relevés météorologiques montrent une hausse moyenne de 0,33°C par décennie, un chiffre qui peut sembler modeste, mais qui a des conséquences significatives. En juillet 2022, une température record de -1,4°C a été enregistrée au col Sud, soulignant cette tendance au réchauffement.
L’un des effets les plus marquants de cette hausse des températures est l’accélération de la fonte des glaciers, qui se produit désormais deux fois plus vite qu’au siècle dernier. Cette fonte expose des micro-organismes emprisonnés dans la glace pendant des millénaires, qui, une fois libérés, peuvent interagir avec l’environnement actuel et potentiellement modifier la composition du microbiome local. De plus, l’augmentation de la disponibilité en eau liquide favorise la prolifération de certains microbes au détriment d’autres, perturbant ainsi l’équilibre écologique de l’Everest.
La fonte des glaciers sur l’Everest soulève des risques sanitaires croissants, notamment la libération d’anciens pathogènes, ce qui représente un danger non seulement pour les alpinistes, mais aussi pour les populations locales.
Avec l’augmentation du nombre de touristes, souvent équipés de bouteilles d’oxygène, ces risques sont amplifiés, car les conditions favorisent la diffusion de micro-organismes, y compris d’origine humaine.
Capture d’écran – Vidéo Youtube © KAIZEN: 1 an pour gravir l’Everest !
La fonte rapide des glaciers accroît l’instabilité, provoquant la formation de lacs glaciaires et augmentant le risque d’avalanches, ce qui perturbe les habitats microbiens et favorise la propagation des risques dans les vallées adjacentes, menaçant ainsi les villages situés en contrebas. Les nouvelles conditions d’humidité et de température, résultant de ces changements, créent un environnement propice à la survie et à la propagation de bactéries humaines comme les streptocoques et staphylocoques, déjà détectées à haute altitude. Ces bactéries, véhiculées par les alpinistes ou les vents, s’adaptent aux conditions altérées, menaçant encore davantage la biodiversité microbienne locale.
La situation est également aggravée par la pollution environnementale sur la montagne, devenue une véritable décharge à ciel ouvert. Les déchets accumulés, allant des excréments et selles humaines à divers débris d’expéditions, se mêlent à la neige et compromettent la propreté de cet écosystème fragile. Malgré les efforts déployés pour organiser des expéditions de nettoyage, la logistique complexe et le volume croissant de déchets rendent ces initiatives difficiles à mener à bien.
Bien que les effets à long terme de ces transformations climatiques restent à étudier, il est évident que le réchauffement pourrait avoir des conséquences inattendues sur l’écosystème unique de l’Everest. La poursuite des recherches est indispensable pour mieux comprendre les interactions entre le changement climatique, les micro-organismes et cet environnement fragile. L’augmentation du nombre d’ascensions de l’Everest, avec ses effets collatéraux, risque de bouleverser durablement l’équilibre écologique des zones de la montagne (pied de l’Everest jusqu’aux sommets).
Conclusion
La conquête de L’Everest mais également le tourisme dans les plus hauts sommets du monde, sont aujourd’hui confrontés à des défis environnementaux et sanitaires sans précédent. La découverte de bactéries d’origine humaine à haute altitude illustre l’impact durable de notre présence sur cet écosystème fragile. Le tourisme de masse, générant des tonnes de déchets et le changement climatique accélérant la fonte des glaces, transforment rapidement le « toit du monde ». Face à ces enjeux, des initiatives émergent, comme le projet Tri-Haut, visant à améliorer la gestion des déchets dans la vallée du Khumbu. Cependant, préserver l’intégrité de l’Everest nécessitera des efforts concertés à long terme, impliquant les autorités népalaises, officiers de liaisons, alpinistes et communautés locales. L’avenir de cette montagne emblématique dépendra de notre capacité à concilier exploration, tourisme et conservation, tout en respectant son écosystème unique et son importance culturelle.
Bibliographie :
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Cholez, L. (2024, 13 mai). Everest : comment le toit du monde est devenu la poubelle de riches touristes. Reporterre, le Média de L’écologie – Indépendant et En Accès Libre. https://reporterre.net/Everest-comment-le-toit-du-monde-est-devenu-la-poubelle-de-riches-touristes